Que signifie avoir une pratique narrative ? Quels sont les théories et les concepts de base de la thérapie narrative ? Dans quels domaines peuvent-elles être utiles ?
Les théories et les concepts de base des pratiques narratives :
Créées par Michael White et David Epston en Australie dans les années 1980-90, les pratiques narratives sont fondées sur l’idée que notre identité est relationnelle et façonnée par les histoires que nous racontons, que nous nous racontons et que les autres racontent sur nous. Ces pratiques font partie des thérapies brèves et s’ancrent dans un référentiel systémique.
Qu’est-ce que l’approche systémique ?
L’approche systémique considère les personnes au sein de leur contexte social, sociétal et environnemental. En d’autres termes, la personne est considérée du point de vue du réseau de relations dans lesquelles elle évolue (les systèmes). Si une personne montre des symptômes (que l’on nomme “patient désigné”), il est considéré que ces symptômes constituent la partie visible de problèmes qui concernent tout le système, c'est-à-dire les cercles sociaux et l’environnement dans lesquels la personne évolue.
Les concepts théoriques de bases des pratiques narratives :
Les pratiques narratives prennent appui, entre autres, sur les travaux des penseurs de la French Theory. Parmi les concepts clés, on y retrouve celui de l’histoire dominante en tant que savoir dominant de Foucault, celui de l’identité narrative de Paul Ricoeur, le concept de la déterritorialisation de Deleuze et enfin, la notion de déconstruction de Derrida.
Par ailleurs, les pratiques narratives ont de facto une position militante et engagée dans ses fondements même. À partir du moment où l’on considère que les récits de la société et des collectifs ont un impact sur les vécus et la construction des identités, alors l’inverse est également vrai. Les récits individuels peuvent avoir un impact sur les discours dominants, chacun à son échelle.
Thérapies narratives ou pratiques narratives ?
Si l’on parle plus généralement de pratiques narratives, c’est pour honorer la multiplicité des domaines et des usages qui en sont fait puisque ces pratiques sont utilisées aussi bien en psychothérapie qu’en coaching, dans le domaine social, ou dans d’autres types d’accompagnements à la personne. Mais c’est aussi pour en souligner le caractère évolutif, vivant et non dogmatique. En effet, les pratiques narratives s’appuient sur des concepts d’auteurs provenant de divers horizons géographiques, disciplinaires et temporels et non sur une théorie unique et figée. Elle met à l’honneur la multivocalité et ouvre la porte aux enrichissements que peuvent apporter ceux qui s’en saisissent.
L’intention fondamentale des pratiques narratives
Repérer et déloger l’histoire dominante internalisée :
Il est considéré dans les pratiques narratives que tout individu organise son vécu sur un mode narratif, c’est-à-dire sous formes d’histoires. Et ce sont ces histoires qui donnent un sens à l’expérience. C’est par la structure qu’ont les narrations et les récits que l’humain peut comprendre ses expériences, son vécu.
Les pratiques narratives sont non normatives et non pathologisantes. C’est-à-dire qu'elles ne s’attardent pas à savoir si tel comportement, telle réaction ou telle émotion est dans la norme, ou le marqueur d’un symptôme à éradiquer. Le récit dominant est considéré de façon individuelle mais aussi sociétale. C’est à dire qu’un travail de distinction est opéré pour déloger les discours émis par des institutions ou des personnes en position d’autorité au sein des récits narrés par les personnes. Par exemple, en psychiatrie, une distinction est faite entre ce qui est sain et ce qui ne l’est pas, ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. Mais lorsque ce type de discours est internalisé par une personne et que l’identité du problème se confond avec l’identité de la personne, quelle marge de manœuvre reste-t-il ?
Mais comment se constituent ces histoires ?
Au sein des relations ! En effet, si nous racontons une histoire à quelqu’un.e, on l’adresse à ce quelqu’un.e. Et ce quelqu’un.e réagit à cette histoire, y apporte un éclairage, des nuances, par les éléments qu’iel va percevoir comme plus ou moins saillant. Ainsi les histoires que nous racontons à notre propos, sont des histoires qui se construisent en groupes, au sein de nos relations, qui sont elles-mêmes dépendantes du contexte dans lesquelles elles se construisent. Ce sont toutes ces histoires à notre propos qui façonnent notre identité.
Se raconter et retrouver une capacité d’agir : l’auto-détermination
Notre représentation de la réalité et des problèmes prend la forme des récits que l’on se raconte à soi-même et que d’autres ont sur nous. C’est la manière de raconter l’histoire qui va conditionner la façon dont on se sent et dont on se comporte.
Le but d’une conversation narrative est donc d’aider la personne à recouvrer sa capacité d’agir et à reconquérir ce sens de l'initiative personnelle qui a pu se trouver occulté par les discours dominants internalisés. Pour ce faire, la conversation prend la forme d’une exploration des récits souvent mis en sourdine par les discours dominants, ceux-ci même qui rendent compte des intentions, des valeurs et des préférences de vie de la personne.
Il s’agit ainsi d’un travail d’autobiographie, mais écrite cette fois par la personne et non à son insu.
Comment se déroule un accompagnement ou une thérapie narrative ?
Puisque l’intention fondamentale est donc la co-construction des récits, la posture du.de la thérapeute ayant une pratique narrative sera nécessairement décentrée et influente.
Posture décentrée du.de la thérapeute :
Le.a thérapeute adopte une posture décentrée dans la mesure où iel va s’attacher à comprendre la construction du monde de la personne qui est accompagnée et non chercher à imposer la sienne. Ainsi le.a thérapeute cherche à s’immerger dans le monde de la personne, pour y comprendre ses valeurs, son univers, ses aspirations, ses buts, ...
La posture influente du.de la thérapeute :
Le.a thérapeute en pratiques narratives ne se considère pas comme un.e expert.e extérieur.e qui observe la situation de la personne accompagnée, mais se considère comme partie prenante de son système. Iel endosse donc la responsabilité de poser les bonnes questions, au bon moment, pour soutenir la personne accompagnée dans l’exploration de récits issus de sa vie, bien souvent mis en sourdine ou parfois même oubliés temporairement.
Puisque qu’à chaque prise de parole, les deux interlocuteurs se retrouvent comme face à un carrefour, chaque question qui est posée va ainsi mener à prendre un chemin plutôt qu’un autre.
Le.a thérapeute ne cherche donc pas à proposer des solutions, qui correspondraient à imposer sa construction du monde à la personne, mais bien la soutenir dans cette recherche, dans le but d’autonomiser la personne.
Comme le dit Mori (2019, 2022), il s'agit de ré-ouvrir la possibilité d'être Narr-Acteur.
Sources :
Mori, S. (2019). Pratiques de la thérapie narrative: Comprendre et appliquer. De Boeck Supérieur.
Mori, S. (2022). Une nouvelle « voix » de recherche en thérapie familiale ou comment redevenir « NarrActeur » ? Présentation du concept de « NarrActeur ». Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 69, 83-92.
Vérilhac, C. (2022). La petite bibliothèque de l'Approche narrative: Sources, racines et ressources pour l'accompagnement. InterEditions.
White, M. (2009). Chapitre 1—Conversations externalisantes. In Cartes des pratiques narratives (Le Germe). Satas.
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